China Targets : les tactiques de répression mondiale de la Chine pour écraser la dissidence et déstabiliser les démocraties

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Selon l'enquête China Targets de l'ICIJ, le Parti communiste chinois mène une féroce campagne transnationale de répression de la dissidence. (Spencer Platt/Getty Images)

Selon l'enquête China Targets de l'ICIJ, le Parti communiste chinois mène une féroce campagne transnationale de répression de la dissidence. (Spencer Platt/Getty Images)

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Le 28 avril 2025, le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ), en collaboration avec 42 médias partenaires dans 30 pays, dont Radio France, Le MondeEl Pais, le Guardian, le Washington Post, etc. a publié une enquête d’envergure, intitulée China Targets, qui révèle l’ampleur et la sophistication des tactiques utilisées par le régime de Pékin pour museler les voix dissidentes, manipuler les institutions internationales et promouvoir une vision autoritaire des droits humains.

Ce rapport, fruit de dix mois d’investigations, expose les mécanismes « écrasants » déployés par le régime chinois pour réprimer les dissidents au-delà de ses frontières. Basée sur des entretiens de plus de 100 victimes dans 23 pays, des documents internes confidentiels et  des interrogatoires de police secrètement enregistrés, des appels téléphoniques et des SMS, l’enquête révèle l’ampleur d’une campagne mondiale de répression transnationale orchestrée par le Parti communiste chinois (PCC).

Elle montre aussi comment l’incapacité à contenir l’autoritarisme chinois lui a permis d’atteindre des institutions intergouvernementales telles que l’ONU et Interpol.

Cet article propose un résumé de ce rapport en mettant en lumière les tactiques utilisées, les cibles visées, les institutions internationales manipulées et la faiblesse des démocraties face à cette menace.

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Une campagne mondiale de répression transnationale

La répression transnationale, telle que définie dans le rapport, désigne les efforts d’un gouvernement pour cibler, censurer, menacer ou nuire à des dissidents au-delà de ses frontières.

Sous la direction de Xi Jinping, au pouvoir depuis 2012, le PCC a intensifié et perfectionné cette stratégie, devenant, selon Freedom House, le pays le plus actif dans ce domaine.

Entre 2014 et 2022, la Chine est responsable de 253 des 854 incidents physiques de répression transnationale recensés dans le monde, un chiffre probablement sous-estimé, car il exclut les tactiques numériques et les pressions sur les familles restées en Chine.

L’enquête China Targets met en lumière une campagne  mondiale très élaborée visant à neutraliser toute voix critique, qu’il s’agisse de dissidents politiques, de membres de minorités opprimées comme les Ouïghours et les Tibétains, les pratiquants du mouvement spirituel Falun Gong, ou encore de défenseurs de l’indépendance de Hong Kong et de Taïwan.

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Ces cibles, souvent des exilés vivant dans des démocraties, sont traquées par des moyens variés : surveillance numérique, piratage informatique, intimidation physique, pressions sur les proches en Chine, et même enlèvements extrajudiciaires.

L’enquête souligne que cette répression ne se limite pas aux activistes de haut profil ; des citoyens ordinaires, parfois pour des critiques mineures ou des activités perçues comme subversives, sont également menacés.

Les tactiques de répression : un arsenal diversifié

Le rapport détaille un éventail de tactiques utilisées par Pékin pour museler ses voix critiques à l’étranger. Ces méthodes, souvent décrites dans des documents internes chinois, reflètent une approche coordonnée et systémique.

● Surveillance et piratage numérique

Les nouvelles technologies numériques jouent un rôle central dans la répression transnationale chinoise.

La technologie qui permet de « contrôler l’opinion publique », de pénétrer dans les ordinateurs des dissidents et de voler des informations privées, a également permis aux autorités de cibler rapidement un plus grand nombre de personnes et d’automatiser la répression transnationale.

Les autorités utilisent des logiciels malveillants, des campagnes de phishing et des applications piratées pour espionner les dissidents. Par exemple, une attaque récente contre des activistes ouïghours, documentée par le Citizen Lab, a impliqué un logiciel malveillant déguisé en outil linguistique ouïghour.

Ces cyberattaques permettent de collecter des données personnelles, d’accéder à des communications privées et de surveiller les activités des cibles. Des plateformes comme WeChat, omniprésentes dans la diaspora chinoise, sont également exploitées pour surveiller et censurer les discussions.

● Intimidation des familles en Chine

Une des tactiques les plus insidieuses consiste à exercer des pressions sur les proches restés en Chine. La moitié des 105 victimes interrogées ont rapporté que leurs familles avaient été interrogées, harcelées ou arrêtées par la police chinoise.

Dans certains cas, ces intimidations ont eu lieu quelques heures seulement après une manifestation ou une prise de parole publique à l’étranger. Par exemple, une activiste hongkongaise basée à Londres, Lau, a vu ses tante et oncle arrêtés par la police de sécurité nationale de Hong Kong après sa participation à une manifestation contre une nouvelle ambassade chinoise.

● Utilisation d’agents et de proxies

Pékin s’appuie sur un réseau d’acteurs non étatiques, y compris des entreprises de sécurité privées, des hackers professionnels, des associations culturelles ou des membres de la diaspora liés au Département du Travail du Front uni (une organisation affiliée au Parti communiste chinois), et même des membres du crime organisé. Des agents comme « Eric », un ancien espion chinois ayant fourni des documents à l’ICIJ, ont révélé comment des opérations secrètes sont menées dans des pays comme la Thaïlande ou le Cambodge pour traquer les dissidents.

● Enlèvements et rapatriements forcés

L’opération “Fox Hunt” (Chasse au renard), lancée en 2014, vise officiellement à rapatrier des fugitifs accusés de corruption. Cependant, selon un rapport de Safeguard Defenders, elle a permis le retour forcé de plus de 12.000 personnes depuis 120 pays, souvent par des moyens extrajudiciaires comme des enlèvements ou des « persuasions » coercitives. Des cas comme celui de Xu Jin, un ancien officiel chinois résidant aux États-Unis, illustrent comment des agents, parfois avec la complicité de locaux corrompus, orchestrent ces rapatriements illégaux.

● Répression lors des visites de Xi Jinping

L’enquête révèle que lors d’au moins 7 des 31 voyages internationaux de Xi Jinping entre 2019 et 2024, les autorités locales des pays hôtes ont arrêté ou détenu des manifestants pour protéger le président chinois de toute dissidence.

Par exemple, à Paris en 2019, Pohan Wu, un étudiant taïwanais, a été arrêté par la police française pour avoir brandi une pancarte proclamant l’indépendance de Taïwan. Ces incidents montrent comment la Chine exerce une influence politique et économique pour convaincre les gouvernements étrangers de réprimer les voix critiques.

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Manipulation des institutions internationales

Un aspect particulièrement troublant de la campagne d’infiltration du régime chinois est son instrumentalisation d’organisations internationales comme Interpol et les Nations unies pour poursuivre ses objectifs répressifs.

● Abus du système de notices rouges d’Interpol

La Chine utilise les « notices rouges » d’Interpol, des alertes internationales pour localiser des suspects, pour cibler non seulement des criminels, mais aussi des dissidents politiques, des hommes d’affaires influents et des membres de minorités persécutées.

Le cas de Jack Ma, le milliardaire et fondateur d’Alibaba, illustre comment Pékin peut manipuler Interpol pour faire pression sur des figures de premier plan. Selon Ted Bromund, expert d’Interpol, ces notices rouges agissent comme “une épingle à travers un papillon”, immobilisant les cibles en limitant leurs déplacements. Les accusations de crimes financiers sont souvent utilisées comme prétexte, car elles sont plus difficiles à contester que des accusations de crimes violents.

● Comment la Chine a infiltré l’ONU pour imposer sa vision des droits de l’Homme

L’ICIJ a découvert que plus de la moitié des 106 organisations non gouvernementales chinoises ayant un statut consultatif auprès de l’ONU sont étroitement liées au gouvernement ou au PCC.

Ces organisations, souvent qualifiées de « GONGOs » (organisations non gouvernementales soutenues par le gouvernement), intimident les défenseurs des droits humains et les dissuadent de participer aux sessions de l’ONU, notamment au Conseil des droits de l’homme. Depuis 2018, le nombre de ces organisations a presque doublé, renforçant l’influence de Pékin sur les institutions internationales.

« L’influence croissante de la Chine au sein de l’ONU représente un risque important de remodelage de cette organisation afin de répondre aux intérêts chinois, ce qui pourrait nuire à ses fonctions essentielles », a expliqué Christine Mirre lors d’un événement organisé par l’organisation Human Rights Without Frontiers, basée en Belgique, au Club de la presse de Bruxelles, le 29 février 2024.

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Les cibles : une diversité de voix réduites au silence

Les 105 victimes interrogées par l’ICIJ incluent des dissidents politiques chinois et hongkongais, des défenseurs des droits, des minorités ouïghoures et tibétaines, des pratiquants de Falun Gong et des activistes pour l’indépendance de Taïwan. Ces individus sont souvent visés pour des actions jugées “taboues” par le PCC, comme critiquer les politiques du gouvernement, défendre les droits des minorités, ou promouvoir des idéologies “divergentes”.

Les Ouïghours, en particulier, subissent une répression intense, tant en Chine qu’à l’étranger. Le rapport fait écho à des enquêtes précédentes de l’ICIJ, comme China Cables (2019), qui exposaient la surveillance de masse et l’internement de millions de Ouïghours dans le Xinjiang. À l’étranger, les Ouïghours sont confrontés à des campagnes de cyberattaques, de surveillance physique et de pressions diplomatiques pour leur extradition, souvent sans respect des procédures légales.

La pratique spirituelle du Falun Gong est aussi mentionnée dans l’enquête. Le PCC cible particulièrement le Falun Gong et veut “éradiquer” le groupe spirituel en Chine et à l’étranger, le considérant comme une menace directe au contrôle totalitaire du Parti sur la Chine. Le PCC a lancé une campagne de persécution brutale contre le groupe spirituel en juillet 1999 et depuis lors, des millions de pratiquants ont été enlevés et détenus arbitrairement dans des prisons, des camps de travail et d’autres établissements à caractère répressif. En 2019, le China Tribunal, un tribunal populaire indépendant basé à Londres, a établi que le régime chinois prélevait de force des organes sur des prisonniers d’opinion depuis des années « à grande échelle », les pratiquants du Falun Gong constituant la « principale source » d’organes humains.

Une réponse insuffisante des démocraties

L’un des constats les plus alarmants de l’enquête China Targets est la faiblesse de la réponse des démocraties face à la répression transnationale chinoise. De nombreux pays, influencés par le poids économique et politique de la Chine, hésitent à protéger les dissidents exilés.

Lors des visites de Xi Jinping ces dernières années, des gouvernements comme la France, l’Irlande ou la Thaïlande ont restreint les droits des manifestants pour éviter des tensions diplomatiques. Par ailleurs, les institutions internationales, comme Interpol et l’ONU, manquent de mécanismes robustes pour contrer le détournement par Pékin de ses propres règles institutionnelles.

Aux États-Unis, bien que le FBI ait pris des mesures, comme l’arrestation d’agents chinois impliqués dans l’opération Fox Hunt, un rapport de 2023 souligne que les agences gouvernementales peinent à quantifier l’ampleur de la répression transnationale. En Europe, des pays comme le Royaume-Uni et l’Irlande enquêtent sur des plaintes, mais les progrès sont lents, et les victimes restent souvent vulnérables.

Les réponses récentes de la France

Selon Radio France, depuis quelque temps, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) semble avoir pris la mesure du problème : « Les victimes et témoins de ce type d’opération doivent contacter les services de la DGSI. Nous encourageons leur signalement », fait savoir le contre-espionnage français. « Ces actions constituent une ingérence étrangère et, à ce titre, font l’objet d’un suivi prioritaire” a expliqué la DGSI à la cellule investigation de Radio France, en précisant “qu’il ne doit pas exister d’extraterritorialité des lois chinoises. » Radio France a d’ailleurs mis en place une cellule d’investigation pour transmettre une information de manière anonyme et sécurisée (alerter.radiofrance.fr).

« La France met des choses en place » assure Paul Charon, directeur du domaine Influence et Renseignement à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et coauteur en 2021 d’un rapport sur les opérations d’influence chinoises.

« Le Parti communiste sous Xi Jinping a hautement conscience de la menace représentée par toutes ces voix dissidentes », continue Paul Charon. « Il a peur tout simplement de perdre le pouvoir. Le modèle à ne pas suivre, c’est celui de l’URSS [où l’ouverture progressive a précipité la chute du régime]. D’où le virage sécuritaire entamé par Xi Jinping à son arrivée au pouvoir en 2012 et la fin de la relative ouverture constatée sous son prédécesseur Hu Jintao. »

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Une menace croissante et existentielle du PCC

L’enquête China Targets met en lumière la menace croissante exercée par le régime chinois contre les libertés fondamentales dans le monde entier. La capacité de la Chine à exporter ses tactiques répressives, à manipuler des institutions internationales et à coopter des gouvernements étrangers constitue un défi majeur pour les démocraties.

Le rapport souligne l’effet paralysant de cette répression : de nombreux activistes, craignant pour la sécurité de leurs familles en Chine, abandonnent leur plaidoyer, tandis que d’autres vivent dans la peur constante d’être surveillés ou attaqués.

Pour contrer cette menace mondiale, l’ICIJ et ses partenaires appellent à une action concertée. Les démocraties doivent urgemment renforcer leurs lois pour protéger les exilés, améliorer la transparence des institutions internationales comme Interpol et l’ONU, et les médias doivent sensibiliser le public à la réalité de la répression transnationale des régimes autoritaires et leur objectif de détruire les valeurs des pays démocratiques.

 

Source : The Epoch Times

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